Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) au Sénégal : le cri du cœur d’un expert pour davantage de transparence !

Interview de M.Philippe Barry, Expert du Secteur privé & RSE, Président de l’Initiative RSE Senegal, par le Magazine La Gazette fin Juillet 2017 à l’issue de la diffusion par la SONATEL de son Rapport RSE 20016

 

ITW La Gazette- Pour la première fois, une entreprise sénégalaise a publié son rapport annuel sur RSE, c’est le combat que vous menez depuis plus de 10 ans. Comment appréciez-vous cette démarche ? 

La publication du Rapport RSE 2016 de Sonatel constitue effectivement un évènement important pour le Sénégal car c’est la première fois dans notre pays qu’une entreprise sénégalaise s’engage à la fois dans la publication d’un Rapport extra-financier GRI-4 et dans une démarche de certification AFAQ 26000, deux référentiels de niveau international marquant ainsi un haut niveau de maturité dans l’engagement et le management de la Responsabilité Sociétale d’Entreprise (RSE). Cela est d’autant plus une fierté pour moi que cette entreprise sénégalaise a utilisé une expertise interne et locale pour arriver à ce stade de maturité. Cet acte d’engagement fort initié par la Direction générale de Sonatel constitue, j’en suis convaincu, un tournant dans le déploiement de la RSE au Sénégal car d’autres entreprises vont assurément suivre cette trajectoire, vers plus de transparence en ce qui concerne la pertinence des informations publiées. Au-delà des informations financières dont la publication est obligatoire pour les entreprises sous statut de Sarl et Sa, et des informations commerciales, les entreprises sénégalaises, surtout celles qui ont un fort impact environnemental et social sur la société et la nature, ont une obligation morale de rendre compte en toute transparence, par la publication d’informations extra financières. Il en va de même pour les organisations publiques ! je pense notamment aux ministères, agences publics, universités et écoles professionnelles, entreprises para publiques, etc… qui disposent par exemple d’un parc automobile important et de ce fait impactent négativement la santé des populations, par les émissions de CO2 générés. J’y ajouterai même les nombreux partis politiques en campagne électorale qui produisent en si peu de temps une quantité très importante de carburant et de déchets papiers (aucun candidat ne s’est engagé à compenser ces «pollutions électorales») ! Les citoyens et contribuables que nous sommes ne devraient-ils pas pouvoir suivre chaque année l’évolution d’un tel type d’indicateurs qui impactent directement nos conditions de vie et de santé ? Idem pour les impacts positifs tels que la contribution fiscale, la contribution sociale et économique apportée par les entreprises et qui créent de la richesse au niveau local et national ? autant d’informations qui pour nous, promoteurs de la RSE, devraient désormais être rendues public par les grandes entreprises comme cela se fait dans les pays développés et émergents où la publication d’un Rapport RSE et Développement Durable est une obligation légale. Exemple en France où depuis le 21 février 2017, l’Assemblée Nationale a adopté «la loi sur le devoir de vigilance des multinationales». En vertu de cette loi, les plus grandes sociétés françaises seront dorénavant tenues d’évaluer et de prévenir les impacts négatifs qu’ont leurs activités sur l’environnement et les droits humains. Cela inclut les impacts résultant de leurs propres activités mais aussi celles de leurs filiales, fournisseurs et sous-traitants avec lesquels elles ont une relation commerciale établie. Outre les filiales des entreprises multinationales françaises qui sont assujettis désormais à cette obligation, une telle mesure devrait selon moi être étendue dans notre pays à toutes les grandes entreprises des secteurs de l’Industrie Extractive (Mine, Pétrole, Gaz), Energie, Btp, Télécommunications, Agrobusiness et agroalimentaire, Transport Logistique, Hôtellerie 

et Tourisme, etc… du fait des impacts générés. C’est cet avis que j’ai formulé à l’attention du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) du Sénégal à sa Commission du Développement industriel, de l’énergie et des technologies lors de ses travaux du 14 Mars 2017 et le 12 Avril 2017 en session plénière sur le thème des enjeux de la RSE dans la gouvernance des ressources pétrolières et gazières au Sénégal. C’est dire que le combat que je mène depuis 10 ans maintenant pour promouvoir ce concept de la RSE se poursuit, convaincus que ce processus d’intégration de la RSE et du Développement Durable dans le système de management de nos entreprises et organisations publics est irréversible, tant la pression internationale, nationale et locale est de plus en plus forte. 

 

ITW La Gazette -Où en est la RSE au Sénégal ?  

Il n’y a pas eu encore au Sénégal une enquête nationale permettant de mesurer le niveau d’engagement des entreprises et organisations par rapport à la RSE. Mais le baromètre mis en place au niveau de l’Initiative RSE Senegal permet de dire que plusieurs entreprises privées mais également publiques sont sur la trajectoire de Sonatel et Sabodala Gold Operations (SGO/Terangagold), entreprise canadienne, qui a été la première entreprise et la seule à publier régulièrement depuis trois (3) ans un Rapport RSE conçu selon la norme GRI-4. Je peux citer des entreprises comme Eiffage, Sodefitex, Wartsila qui ont engagé à l’instar de Sonatel un double chantier RSE avec la démarche ISO 26000 et la publication d’un rapport GRI-4. J’espère vivement que 2018 permettra à ses entreprises et bien d’autres de démontrer également leur maturité de leur système de management RSE. Il est également important de faire observer à l’opinion publique que la RSE ne se limite pas à des actions de mécénat ou de simples actions d’engagement communautaire comme on le lit souvent dans la presse nationale. La RSE est avant tout une démarche structurée marquée par trois (3) étapes successives : (1) l’Intégration de la RSE dans le système de Gouvernance en utilisant la norme ISO 26000 et les indicateurs du Global Report Index, (2) la Formulation d’une stratégie de dialogue parties prenantes et (3) la Mise en œuvre de projets structurants RSE ayant un impact significatif sur les populations (et en particulier les groupes vulnérables), l’environnement et le Développement économique local (content local). De ce fait, l’intégration de la RSE dans l’entreprise exige la connaissance d’une méthodologie (ingénierie) en lien avec la norme ISO 26000 et les standards du Global Report Initiative, condition sine qua non pour rédiger et publier un Rapport de Développement Durable en conformité avec la règle internationale. Si le Sénégal est un des rares pays en Afrique de l’Ouest à s’être doté d’un dispositif de promotion de la RSE, il faut reconnaître les limites de son efficacité par le fait que ce dispositif n’est porté que par un expert du Secteur privé sans que l’Etat ou ses démembrements ne s’y soient pleinement intéressés de manière institutionnelle ou opérationnelle, ce qui constitue un réel obstacle au déploiement de la RSE. Les lettres de politiques sectorielles des ministères n’intègrent pas les dimensions RSE et Développement Durable. Il n’existe non plus aucune incitation pour les entreprises qui s’engagent réellement dans une démarche RSE structurée. Notre proposition à ce sujet est que toutes les entreprises qui bénéficient d’une subvention et donc de l’argent publique pour renforcer leur compétitivité (exemple des subventions offertes par le 3FPT, le Fonds à Frais Partagé de l’ADEPME, le Bureau de Mise à Niveau, etc…) doivent s’engager formellement en contrepartie à rendre compte de leurs impacts environnementaux et sociaux et des mesures prises pour atténuer ou compenser lesdits impacts. Il devrait en être de même au niveau des prêts accordés par le système financier public (Bnde, Fongip, Fonsis, etc…) et surtout privé au niveau des banques et assurances qui devraient intégrer dans leurs offres aux entreprises des «financements verts». 

 

ITW La Gazette- Une entreprise, un projet communautaire, c’est votre slogan. Il reste qu’il n’existe aucun corset pour le respect des textes. I L’accompagnement des populations se fait au petit bonheur. Que faire ? Vous avez été interpellé par la CONAFE pour une meilleure prise en charge des enfants dans le cadre la RSE. Que comptez-vous faire ? 

Ma vision de la RSE au Sénégal est effectivement de voir chaque entreprise portée un projet structurant qui réponde à nos nombreux enjeux de développement durable. Outre les enjeux liés à la préservation de la biodiversité et surtout de l’emploi des jeunes par l’entrepreneuriat local qui me paraissent essentiels, il est important que les entreprises s’investissent sur des sujets qui ne touchent pas directement leur sphère d’influence. Je pense notamment à des domaines touchant à la Santé maternelle, au Handicap, à la Protection de l’Enfance et bien d’autres domaines en lien avec les Objectifs de Développement Durable (ODD). C’est effectivement dans ce cadre que des associations crédibles de la Société civile comme Handicap International ou la Coalition Nationale des Associations et ONG en faveur de l'Enfant (CONAFE) se sont rapprochés de l’Initiative RSE Senegal pour bénéficier de l’expertise et des conseils sur des stratégies de mobilisation des entreprises. Il est vrai qu’en l’état actuel de la législation sénégalaise et du faible niveau de conscientisation des dirigeants et cadres d’entreprises sur les enjeux du Développement Durable, il est très difficile de solliciter les entreprises sur des sujets dont elles ne perçoivent pas directement leurs responsabilités. Mais je ne désespère surtout pas, car comme je le disais précédemment, non seulement nous vivons actuellement au niveau international une évolution dans la prise en compte du Développement Durable par les entreprises mais également au Sénégal plusieurs entreprises sont entrain de montrer la voie dans ce nouveau type de management que nous promouvons. 

 

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